Un autre regard

Un autre regard

LE CRÉÉ ET L’INCRÉÉ

PENSER LE CORAN

Extraits n°5/50 du livre « Penser le Coran »

de Mahmoud Hussein

Edition : GRASSET – 2009

 

 

 


 NB : J’ai ajouté au texte du livre de Mahmoud Hussein, la traduction en arabe des versets du Coran ainsi que principalement le Tafsir de Jalayn. Il me semble que la compréhension devient plus pertinente pour toutes celles et tous ceux qui manient le français et l'arabe. 

Le livre est en vente en français et traduit à l'arabe

Achetez les livres et lisez et faites lire vos enfants, vos ami(e)s et vos collègues

(Abdelhak RIKI)


LE CRÉÉ ET L’INCRÉÉ

 

L’a priori littéraliste n’est pas toujours allé de soi. Il ne s’est imposé en islam qu’après une lutte de plusieurs siècles, commencée au lendemain de la mort du Prophète.

Dans les premières écoles de lecture du Coran, deux démarches s’opposent déjà : l’une, dont le commentaire  s’efforce de rester au plus près du texte, en s’appuyant sur la tradition des premières générations de croyants ; l’autre, dont le commentaire favorise la réflexion personnelle, en s’appuyant sur la raison.

Lorsque s’esquissent les premières doctrines religieuses, on retrouve le conflit entre raison et tradition dans l’affrontement qui oppose les Qadarites, pour qui le Coran fait ressortir le libre arbitre de l’homme, aux Jabrites, pour qui le Coran fait prévaloir le pouvoir absolu de Dieu.

 Avec la traduction en arabe des philosophes grecs, et tout particulièrement de la Logique d’Aristote, les thèses qui privilégient l’autonomie de la raison acquièrent une force et une cohérence nouvelles. Le grand débat théologique peut commencer. Il donnera lieu à des controverses, dont on ne soupçonne même plus, aujourd’hui, la richesse et la fécondité. En le simplifiant à l’extrême entre ses deux principaux pôles :

         - L’école des Mu‘tazilites donne du Coran une lecture marquée par la confiance dans le pouvoir souverain de la raison. Dieu est lui-même Raison. Il a donné aux humains la puissance d’agir librement, à partir de quoi Il les sanctionnera, à la fin des temps, en fonction de leurs actes.

- Face à cette école se dressent les représentants de la Tradition, au premier rang desquels le fondateur de l’une des quatre écoles de fiqh (jurisprudence), Ibn Hanbal. Ce dernier rejette avec force la notion de libre arbitre humain, qui apparaît comme une entrave à l’absolue puissance de Dieu, cette dernière étant hors de portée de la raison humaine.

Le débat décisif se cristallisera au IX siècle à Bagdad, autour de la nature de la Parole de Dieu : cette Parole est-elle consubstantielle à Dieu ou n’est-elle que l’un de Ses attributs ? Est-elle intemporelle, éternelle, comme Lui, ou est-elle distincte de Lui et inscrite dans le temps ?

D’où la fameuse question portant sur le statut du Coran : est-il « créé » ou « incréé » ?

Selon les Mu‘tazilites, le Coran est « créé ». Cela veut dire qu’il est distinct de Dieu, et, contrairement à Lui, survenu dans le temps. Comme il est tributaire de la raison, les croyants peuvent le comprendre et comme ces derniers sont libres et responsables de leurs actes, ils se doivent de déployer un effort de recherche personnelle, en vue de l’interpréter au mieux de leurs capacités, dans des situations différentes de celles où Dieu l’a révélé.

 Selon Ibn Hanbal, le Coran est « incréé ». Cela veut dire qu’il participe de la substance de Dieu, qu’il est inséparable de Dieu lui-même. D’une part, il est investi de l’intemporalité de Dieu et, d’autre part, il se place au dessus de la raison. Pour les croyants, dès lors, l’intelligibilité de ses versets compte moins que la présence divine dont ils sont porteurs. Ce qui importe, c’est moins de le comprendre que de s’en imprégner toujours plus profondément.

L’affrontement entre Mu‘tazilites et Hanbalites verra la victoire décisive des seconds, à Bagdad, vers la fin du IX siècle. Les deux problématiques, rationaliste et traditionaliste, continueront de se croiser et de s’opposer, empruntant des formulations plus ou moins abruptes ou subtiles, à l’échelle du monde musulman, notamment dans al-Andalus, jusqu’à la fin du XII siècle.

Mais la victoire des thèses traditionalistes, dans leur formulation la plus étroitement littéraliste, est consommée pour de longues siècles avec les enseignements d’un Ibn Taymiyya au XIV siècle, que viendront prolonger, au XVIII siècle, ceux d’un Ahmad ibn ‘Abd al-Wahhâb (auquel se réfère le wahhabisme actuel).

Tout au long de cette période, le littéralisme a si profondément marqué les esprits, dans tous les domaines de la science religieuse, qu’on en parle comme s’il allait de soi – ou qu’on n’en parle même plus, comme s’il était devenu synonyme d’islam.

De ce fait, de nombreux croyants abordent aujourd’hui le Coran comme un texte qui doit conforter leur foi, mais non leur intelligence, un texte où la raison n’est appelée qu’à saisir le sens premier des mots.

Enfants, ils en apprennent des fragments par cœur sans les comprendre. Devenus grands, ils fréquentent le texte sans oser le penser. Ils égrènent les mots, récitent ou psalmodient les versets, écoutent des fragments commentés à la mosquée, à la télévision, peut-être dans un cours du soir.

Mais la plupart d’entre eux n’iront pas par eux-mêmes à la découverte du texte. Ils ne s’aventureront pas dans une recherche de sens, encore moins dans une interprétation.

En se privant ainsi d’une compréhension personnelle, librement élaborée, de l’univers que le Coran leur offre, c’est une part intime de leur identité, de leur connaissance en soi, qu’ils mutilent. Ils ont alors tendance à se replier sur eux-mêmes et à s’isoler du reste du monde, plutôt que de se lancer, avec les autres composantes de l’humanité, dans l’aventure d’un destin commun.

 

A suivre...

 

 

 

 

 

 



26/04/2013
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